Rencontre de pêcheurs aux Aves Borlavento

25 mai : navigation Los Roques - les Aves

Départ 6h30 de Coranero à l'ouest des Roques. Le ciel est dégagé, vent E.S.E 15 noeuds. Nous optons pour une sortie de l'archipel par la voie sud pour gagner du cap vers les Aves. Impossible de maîtriser le cap du bateau sous génois, Thierry est obligé de barrer. Pour passer assez près de la dernière île nous mettons le moteur. Je fais la réflection qu'il est bon d'avoir confiance en son moteur... quelques instants après le moteur a des baisses de régime... Thierry va voir ce qu'il se passe, soupçonnant un problème d'alimentation en gasoil. De fait le réservoir tampon d'alimentation du moteur est presque vide. Mauvaises surprises, la pompe électrique qui permet de l'alimenter à partir des tanks latéraux a rendu l'âme, et la pompe manuelle refuse de fonctionner. Thierry s'escrime un moment le nez dans le moteur avec la houle qui chahute le bateau mais ne parvient pas à régler le problème. Pas de soucis, nous remplissons le réservoir tampon avec un jerrican en utilisant la nable du cockpit.
Pendant ce temps le bateau s'éloigne doucement de la dernière île des Roques avec son phare. Vent variable ESE de 15 noeuds, petite houle croisée. Les Aves sont pile au cap Ouest à 25 milles de là. Nous prenons un cap ONO pour être au grand largue. Ce serait une vraie navigation plaisir sans cette houle croisée avec des trains de vagues latérales de près de deux mètres qui font rouler sévèrement le bateau. La porte des toilettes arrière s'obstine à s'ouvrir toute seule et je cherche un moyen de la bloquer : un bout de sparadrap s'avérera-t-il efficace ? Après ses efforts dans la cale moteur Thierry s'endort dans le cockpit. Pas de soucis, le pilote gère très bien le cap ! Le bateau file tribord amure sous génois à six noeuds. Parfait. Mais ça ne dure pas. Au réveil de Thierry peu après 11 heures il est temps de changer de bord pour prendre un cap OSO.  Thierry met du temps à stabiliser le bateau sur ce cap. Une grosse vague nous asperge... ça rafraîchit. La vitesse du bateau chute à 4-5 noeuds sur ce bord. Toutefois nous faisons moins d'écarts de cap aussi la vitesse moyenne devrait rester correcte. Nous sommes un petit peu moins secoués. Thierry grignote du cap petit à petit en faisant +1 sur le pilote. On arrive quasiment vent arrière. Il lui prend l'idée de changer le réglage de sensibilité du pilote... et, vlan, le pilote se met à biper. Obligé de reprendre en manuel sans avoir pris note du cap, Thierry galère une bonne demi heure pour tenter de retrouver un cap stable car le bateau s'obstine à remonter au vent. Pour finir, comme nous approchons des Aves de Barlovento (îles au vent), nous changeons de bord pour reprendre plus au nord. Ouf, sur ce bord le cap est vite trouvé. Il nous reste cinq milles et il nous mène pile poil au bout de l'île. Une flopée de fous de bassan nous accompagne à l'arrivée, visiblement curieux ils frôlent le bateau et jettent un oeil sur nous. Nous enroulons le génois et allumons le moteur... qui refuse de démarrer ! Coup de stress. Thierry va une nouvelle fois à la recherche de la panne et se souvient qu'il n'a pas rouvert le robinet d'arrivée de gasoil ! Nous contournons l'île pour rejoindre la mouillage sous le vent. A l'approche du bord le satellite nous positionne sur la terre : bonjour la précision et la fiabilité ! Je me poste à l'avant et scrute le fond, espérant détecter à temps une patate de corail ou un haut fond impraticable avec nos 2,20 mètres de tirant d'eau. Nous approchons le bord tout doucement. La couleur verte de l'eau nous assure que c'est du sable mais l'eau est trouble et sans soleil je ne vois pas le fond. Thierry descend l'ancre au jugé, notre sondeur ne nous donnant pas la profondeur. Il est 16 heures. Tout va bien. Un bateau de pêcheurs est ancré près de nous. Thierry plonge vérifier l'ancre : elle est posée par 2,80 m et le bateau est avec 7,30 m de fond. Comme depuis une quinzaine de jours le soleil est voilé par un "calima" persistant (vent de sable). Un second bateau de pêcheurs tout pimpant vient s'ancrer juste à côté de nous et laisse tourner son moteur un long moment. Grosse déception : on nous avait vendu les Aves comme un endroit superbe, mais la fatigue et le ciel tout gris le rendent bien terne. Pour une île déserte ensoleillée, on repassera : temps gris et voisins bruyants !... Demain nous la verrons sous un autre œil. Dodo de très bonne heure.
P.S. Le sparadrap a bien rempli son office !

26 mai

Après un bon tour de compteur de sommeil je jette un œil pour voir si le soleil est là... hélas non... Ce matin, alors que j'ai du mal à émerger, Thierry est plein d'énergie et n'arrête pas de bricoler. Il répare la pompe manuelle de gasoil. En fin de matinée le ciel se dégage enfin et la baguette magique soleil illumine le paysage, donnant de l'éclat aux tons de bleu et de vert des eaux du mouillage. Thierry met l'annexe à l'eau et nous partons explorer l'île qui est une immense lagune bordée de palétuviers. C'est le royaume des oiseaux ! Il y en a partout dans les airs et dans les arbres, principalement des fous de bassan (plus précisément, un fou à pattes rouges, cousin du fou de bassan) qui nichent dans les feuillages. Alors que les adultes sont marrons, les petits sont blancs. Nous apercevons trois flamands roses qui pêchent côté mer. Nous parvenons à nous approcher à une vingtaine de mètres. Quels oiseaux magnifiques ! J'ai une pensée pour Marion qui serait folle de joie de voir ces oiseaux dans la nature. Dans la lagune deux autres flamands roses se laissent approcher relativement près. Quel bonheur d'être là au milieu de cette si belle nature et d'approcher ces oiseaux majestueux !
Dans l'après-midi nous allons sur le côté Est de l'île à la recherche d'un spot de snorkeling. En vain. Cette fois le spectacle n'est pas sous l'eau mais au-dessus. Une bonne centaine de fous vient tournoyer au-dessus de nos têtes, certainement intrigués par ces drôles de poissons. Ils passent et repassent à nous frôler parfois. Quel spectacle... digne du célèbre film " les oiseaux". De nombreux palétuviers morts dans la mangrove contribuent à donner cette ambiance spéciale. Nous faisons ensuite une petite visite au camp des pêcheurs sur la plage. Le gars présent au campement nous accueille gentiment et nous explique comment il pêche. Il vient du continent et reste quinze jours ici. Il nous montre un chemin tracé dans les palétuviers et menant sur la côte au vent de l'île. Là le paysage est totalement différent avec de belles nuances de vert, les rochers noirs de la côte et le bleu profond de la mer qui déferle. Nous ne traînons pas parce que Thierry se fait bouffer par de minuscules moustiques très agressifs. Le ciel a de nouveau viré au gris et la magie des couleurs s'estompe.
Avec nos voisins pêcheurs il faut oublier la douche à poil au cul du bateau...

Aves signifie "oiseaux" en espagnol

27 mai

Frustrée ! Quelle frustration d'avoir la chance d'être sur une île paradisiaque et la malchance d'avoir un temps très gris qui rend cet univers bien terne. Ce matin nous devions aller au lever du jour assister au réveil des oiseaux dans la lagune... mais le ciel est tout gris et il tombe même quelques gouttes - insuffisantes pour remplir notre réservoir d'eau douce. L'avantage de ce temps gris est que le vent, qui souffle à 15 noeuds minimum, tombe soudainement sous les dix noeuds, et ça repose.
Dans la matinée nous sommes abordés par une petite barque avec six pêcheurs à bord. Ils nous tendent une vieille bouteille de cinq litres toute pourrie et nous demandent de l'eau. Je leur remplis une bouteille neuve. Le plus jeune à bord, Valentino, engage la conversation avec Thierry. Il demande si on peut leur donner une poulie parce que la leur est toute rouillée et menace de casser. Thierry leur donne deux petites poulies qui font leur bonheur parce que relever la nasse devenait difficile. Thierry parle de langoustes et Valentino se propose de nous en apporter cet après-midi. Chouette, depuis le temps qu'on en rêve ! Thierry récupère leur vieille poulie et entreprend de la réparer pour leur rendre cet après-midi. Ils vont être super contents ! Effectivement, lorsqu'ils repassent en fin d'après-midi, Valentino est épaté par la poulie rénovée fabriquée par Thierry. Sur leur barque un compresseur à air avec un long tuyau leur permet de plonger. Un des gars nous demande si nous avons des boulons pour fixer le compresseur à la barque, les leurs étant totalement rouillés. Ils n'ont pas eu le temps d'aller pêcher des langoustes mais nous rapportent un énorme tas de lambis. Demain ils iront pêcher des langoustes. Nous voilà obligés de rester un jour de plus...
Malgré le temps gris nous allons explorer la lagune où les oiseaux pullulent. Nous retrouvons les deux flamands roses.
Préparation des lambis : cuire en l'état à l'eau bouillante 20 minutes, enlever les parties non comestibles puis couper en fines lamelles qui peuvent ensuite être frites, préparées en sauce (pour des spaghettis) ou en salade. Il va falloir faire preuve d'imagination vu la quantité.
  

28 mai

 Ce matin le ciel est moins plombé et je remarque que le bleu est plus vif : le kalima serait-il enfin terminé ? La barque de Valentino passe nous voir parce qu'ils ont un gros problème moteur - joint de culasse ?  - et ont besoin de pâte à joint haute température. Les explications durent un moment et Thierry leur confie son tube.
Nous décidons d'aller sur l'îlot voisin avec son campement de pêcheurs. Pas un arbre, l'îlot est battu par les vents. Pour atteindre l'anse naturelle dans les coraux nous ne trouvons pas la passe et heurtons une patate de corail. Avec notre annexe alu aucun problème ! Trois barques sont là et les gars nous accueillent avec plaisir, nous aidant à nous amarrer. La barque de Valentino est échouée sur la plage et les gars lui frottent les flans, l'un avec une spatule, les autres avec des boîtes de conserve. Les mécanos du bord s'activent autour des moteurs qu'ils ont déjà démonté avec les moyens du bord. Ils changent le joint de culasse en mettant la pâte à joint . L'autre moteur est démonté et emporté pour démontage du roulement à billes qui se situe sous le lanceur. En quelques heures, avec rien, ils réparent les moteurs ! De vrais magiciens. Nous faisons le tour de leur campement rudimentaire fait de bric et de broc. Une "tante" cuisine et deux pour la détente avec des hamacs. Quelques poteaux de bois servent de support à des toiles et des plastiques récupérés ici et là. Heureusement qu'il ne pleut guère ici. Selon les équipages, ces pêcheurs restent ici loin de tout avec des conditions de vie plus que rudimentaires, un mois, trois mois, voire même six pour certains ! Bon, par rapport aux bretons qui partaient des mois se cailler à Terre-Neuve, ils ont au moins l'avantage d'être au chaud.
Nous allons nager aux abords de l'îlot et découvrons de beaux fonds de coraux poissonneux. Tandis qu'on se baigne des pêcheurs plantent un drapeau rouge pour nous signaler l'entrée de la passe.
Au retour nous sommes hélés par nos voisins. Ils cherchent une douille de clé mais nous n'avons pas ce qu'ils demandent. Ils nous donnent malgré tout un gros poisson.
L'info a dû bien circuler entre les équipages parce que nous sommes sollicités à trois reprises durant notre sieste. Tous demandent de l'eau mais nos maigres réserves ne nous permettent pas de leur en donner. L'un d'eux nous demande de l'aspirine, ça on a.
A quelques distances de l'îlot des pêcheurs (à 2 milles de Lambarena), une micro île émerge de l'eau. Il paraît qu'on y trouve des langoustes. Nous y allons dans l'après-midi et ce sont peut-être les plus beaux fonds qu'on ait pu admirer, tout y est : coraux, gorgones, gros poissons et une eau cristalline ! Thierry en profite pour faire une rapide plongée en bouteille tandis que je l'attends, toujours un peu anxieuse, dans l'annexe ancrée devant ce minuscule point de terre dans l'immensité de la mer. Les couleurs sont un vrai régal, d'autant que le ciel est enfin d'un beau bleu debarrassé du calima.
Nos amis viennent nous rendre ce qu'on leur a prêté. Thierry leur donne un carton à faire des joints moteur et un lanceur pour leur compresseur. Ils voudraient de l'eau mais nous ne pouvons pas leur en donner, par contre, une petite bouteille de rhum, si !
Ce soir le coucher de soleil est superbe. Tant de couleurs et de beauté sur ces îles m'émeuvent, quelle chance nous avons de vivre ces moments ! Nos voisins de mouillage lèvent l'ancre à la nuit et nous nous retrouvons seuls.
Pour le dîner je fais mijoter longuement des morceaux de lambi avec une bonne sauce tomate, avec du vin blanc (un luxe ici)... mais la bête reste caoutchouteuse. Il me reste des progrès à faire pour maîtriser l'art de cuisiner ces mollusques.
Dernière nuit aux Aves de Barlovento. Demain nous partons pour les Aves de Sotaviento (sous le vent) à quinze milles à l'ouest d'ici. 

VIDEO : Le campement des pêcheurs

C'est où ? Impossible à trouver sur Google Map...

 

Date de dernière mise à jour : 11/06/2022