6.18 Confinement... la vie s'organise
Repos à Ste-Anne
Nos amies ont quitté notre bord le 5 mars après trois semaines de virée aux Grenadines. Nous avons rejoint Ste-Anne deux jours avant et nous sommes heureux de souffler quelques temps avant de repartir vers la Guadeloupe pour y accueillir Marina le 10 avril. Nous retrouvons avec joie nos amis Laurent et Anne-Laure. Ils nous prêtent leur voiture et nous en profitons pour aller nous balader sur la côte atlantique au Cap Chevalier : restaurent sur la plage et baignade dans le lagon.
Confinement or not confinement ?
Les jours passent et tout le monde ne parle plus que de ce coronavirus qui envahit et affole la planète. Les médias parlent de confinement, comme en Chine, en Italie ou dans de plus en plus de pays. Le 13 le gouvernement annonce la fermeture des bars et restaurants. Les DOM sont-ils concernés ? A Ste-Anne les bars restent ouverts et ne désemplissent pas. Le dimanche 15 mars, jour des élections municipales maintenues en dépit du risque de contagion, les rues de Ste-Anne sont pleines de monde : tous se retrouvent à la sortie du bureau de vote et papotent dans les rues ou dans les bars. Nous allons prendre un planteur avec notre ami Fabrice, le mécano qui nous a dépanné l'an dernier à Pointe-à-Pitre.
Le lendemain Macron annonce le confinement pour le mardi 17 à midi. Ici les gens commencent à s’inquiéter ! Les supermarchés sont pris d’assaut. Par précaution Thierry va compléter nos réserves. Nous avions fait le plein des placards avant de partir vers les Grenadines et n’avons guère tapé dans le stock. Quelques achats complémentaires nous permettent d’avoir de quoi tenir un bon mois, voire plus en se rationnant, sans avoir à sortir faire de nouvelles courses. Et nous voilà confinés dans notre bateau au mouillage de Ste-Anne… pour combien de temps ? Certainement de longues semaines...
C’est parti pour un long confinement
Le mouillage à Ste-Anne est très vaste car les hauts-fonds s’étendent sur plusieurs kilomètres. Il accueille deux ou trois cents bateaux en permanence, mais chacun a pas mal d’espace. L’endroit est plutôt venteux mais il n’y a pas de houle. Quelques commerces dans le bourg restent ouverts et permettront de se ravitailler en produits frais, du moins nous l’espérons. Bref, c’est plutôt un bon mouillage pour y rester quelques semaines et nos conditions de confinement font certainement des envieux. Thierry a toujours des travaux d’entretien à faire à bord et j’ai un stock de mots-croisés. Nous allons nager presque chaque jour, un bon kilomètre avec les palmes. Malheureusement ce sont des fonds de sable et la baignade n’offre pas grand intérêt, mais il faut bien se dégourdir les jambes et faire de l‘exercice. Nous profitons aussi de ces sorties pour aller papoter avec nos voisins.
Les premiers jours se passent à appeler les enfants et les amis. Tout va bien en métropole. Marion et Marina, toutes deux profs, font de l’enseignement à distance. Youenn continue à travailler quelques jours puis reste confiné lui aussi. Nous voilà rassurés.
La première incidence négative de ces évènements est l’annulation du voyage de Marina à Pâques, au grand dam de Thierry qui se faisait une grande joie de partager des moments privilégiés avec elle.
Thierry crée un groupe Facebook
Le samedi suivant le confinement, Thierry prend l’initiative de créer un groupe Facebook (Voiliers confinés en Martinique) pour informer les voiliers et créer du lien. Les mots d’ordre sont humour et solidarité. A peine ouvert et sans publicité les demandes affluent ! Victime de son succès, Thierry passe beaucoup de temps à gérer ce groupe qui grossit de jour en jour. En une semaine il compte plus de 200 membres et les posts se multiplient. Il se trouve embarqué dans une aventure qu’il n’a pas imaginée en ouvrant ce groupe : il va devoir animer la vie de ce petit village de voiliers.
C’est via cette page FB que nous retrouvons des amis confinés là eux aussi. Nous revoyons (à distance bien sûr) avec plaisir François, le « crêpier de Carriacou » et un couple rencontré cet hiver à Deshaies.
La vie s’organise
Les premiers à réagir sont Derrick et Juliette (Mado-artisan) qui jusque là livraient chaque matin le pain et des croissants. Ils décident de compléter leur offre avec les légumes d’un maraîcher local, des gâteaux faits maison (par leurs soins) et des plats cuisinés préparés par un restaurant de Ste-Anne (le poulet boucanné est une tuerie !...). Un peu de pub sur FB et leur activité décolle, évitant à 200 bateaux de descendre à terre se ravitailler.
Nous faisons la connaissance d’un couple de pharmaciens très actifs sur FB et Thierry leur propose de se charger des achats en pharmacie pour tout le mouillage. Cathie est très contente de reprendre du service et de se rendre utile. Du coup elle nous dit avoir retrouvé l’énergie de nettoyer son bateau de fond en comble ! Cette initiative évite aux plaisanciers d’aller surcharger la file d’attente devant la pharmacie de Ste-Anne qui est ravie de cette organisation.
Les français ont pris l’habitude de faire du bruit à leur fenêtre chaque soir pour remercier le personnel hospitalier. Nous aussi sur nos voiliers nous lançons un « faites/fête du bruit » à 20 heures : cinq minutes de concert de cornes de brume, casseroles, sifflets… Les voiliers au mouillage à l’Anse d’Arlet inscrits sur la page nous lancent un défi : quel mouillage sera le plus bruyant ? La compétition est rude… Le but est de s'amuser ensemble car ça n'aide évidemment pas les soignants, ni tous les travailleurs de l'ombre obligés d'affronter le virus sans masque.
Thierry sollicite un volontaire pour raconter un conte chaque soir à 18 heures à la VHF. Le canal 10 a été choisi pour communiquer entre bateaux au mouillage de Ste-Anne : un bon moyen de ne pas rester isolé et d’appeler ses voisins en cas de besoin. Par chance, après deux semaines de confinement, aucun cas de Covid19 n’est signalé parmi les plaisanciers, hormis un jeune qui avait participé à une fête sur la plage juste avant le confinement. Heureusement il n’a pas besoin d’être hospitalisé. Une nuit les secours viennent chercher un plaisancier qui a émis un Mayday (appel au secours en mer en cas de risque sur la vie), mais impossible d’en savoir plus…
Dur d’être plaisancier dans les Caraïbes !
Avant le confinement en France nous sommes avertis que les Grenadines ont fermé leurs frontières aux plaisanciers. Il semble que ce soit aussi le cas de la plupart des îles des Caraïbes. Nous prenons contact avec nos amis à Carriacou. Depuis le 25 ils sont confinés dans leur bateau avec interdiction de descendre à terre. Heureusement le magasin Alexis les livre sur le ponton et le club de plongée canadien se charge de l’approvisionnement des bateaux. La solidarité fonctionne !
Dès le confinement mis en place, les Saintes expulsent tous les bateaux qui n’ont pas une bouée à l’année. Quelle solidarité ! Ce sera ensuite le tour de Malendure et Bouillante sur la côte Ouest de la Guadeloupe. Comment faire si les mouillages sont interdits aux bateaux immatriculés en métropole ? Heureusement que Ste-Anne et Le Marin restent ouverts à tous, même aux bateaux étrangers.
Officiellement la navigation est "fortement déconseillée", toutefois de nombreux bateaux changent de mouillage dans la première semaine du confinement.
Pour descendre à terre nous devons avoir notre autorisation de circuler et n’avons pas le droit de débarquer à plusieurs. Les plages sont interdites et un hélicoptère veille au respect de cette consigne. Les premiers jours nous allons nager vers la plage pour y marcher un peu mais nous devons rapidement renoncer à cette pratique. La gendarmerie maritime verbalise les nageurs et les pêcheurs sur annexe : il semble qu’on doive rester à moins de 50 mètres de notre bateau mais aucun texte ne vient confirmer cette contrainte. Bien sûr, difficile d’avoir une attestation lorsqu’on se baigne… Malgré tout, dans l’ensemble, à Ste-Anne nous ne sommes pas trop surveillés, ni punis de contraventions.
Thierry se retrouve « chef du village » !
Thierry prend à cœur son rôle d’animateur et organisateur de la vie du village des plaisanciers de Ste-Anne. Lassé de voir des marins se faire verbaliser lorsqu’ils sont à plus de 50 mètres de leur bateau, il interpelle les gendarmes maritimes pour leur demander les textes de loi. Ceux-ci restent évasifs et admettent qu’ils ne savent pas précisément ce que disent les textes… Ils donnent le lien vers le site de la préfecture où il est bien stipulé que ceux qui habitent sur leur bateau ont les mêmes contraintes que ceux qui vivent à terre. Il est donc admis que nous pouvons faire de l’exercice durant une heure à moins d’un kilomètre de notre domicile. Bien sûr il faut une attestation… J’ai alors l’idée d’écrire ça au feutre indélébile sur une fiche bristol plastifiée ; un coup d’acétone et on change la date à chaque sortie. On les place dans un sac étanche qu’on promène en nageant. Ouf : nous pouvons continuer à aller nager sans risquer une amende ! Le texte mis en ligne tous devront s’y tenir, les plaisanciers mais aussi les gendarmes.
Le maire de Ste Anne fait installer un robinet d’eau sur le ponton d’accueil afin que les plaisanciers puissent s’approvisionner en eau douce. C’est un gros soucis en moins pour ceux qui n’ont pas de desssalinisateur. Thierry rencontre le maire et l’échange porte sur les poubelles. 300 bateaux déposent chaque jour un sac poubelle et le local déborde. Thierry met une annonce pour demander à chacun de respecter le tri sélectif et de contribuer à maintenir l’endroit propre. Le jour même un plaisancier va balayer le local ! L’idée de faire circuler une cagnotte pour remercier la ville de ce service gratuit murit. Nous avons la chance d’être bien accueillis ici et il est important de maintenir de bonnes relations avec les habitants.
Bref, Thierry se retrouve de fait l’interlocuteur du maire et des gendarmes pour ce qui concerne les plaisanciers… le voilà « chef de village » (il déteste cette appellation de "chef" mais c'est tout de même ainsi... et bénévole comme toujours !). Il n’a même plus le temps de bricoler sur le bateau !
Du stress… et beaucoup de questions
Les jours passent… Thierry est bien occupé et ça évite de trop cogiter. Comme tout le monde nous sommes stressés par la situation. Nous nous sentons privilégiés car le confinement est plutôt agréable au mouillage et les risques d’attraper ce foutu virus nous semblent assez minimes. Bien sûr on s’inquiète pour les enfants en Bretagne… mais ils sont confinés et là-bas l’épidémie reste à un niveau assez faible. Heureusement le téléphone permet de garder le contact. Nous sommes assaillis d’informations confuses, mensongères et contradictoires : que croire ? Tout cela entretient un climat de peur dans la population. Le traitement à la chloroquine va-t-il s’imposer et fonctionner ? Les tests de dépistage vont-ils enfin se généraliser ? Les masques vont-ils enfin être livrés ? Les hôpitaux vont-ils être submergés alors que les cliniques restent quasiment vides ? Que cache l’incompétence du gouvernement et tout ce cirque médiatique ? Pourquoi ce couvre-feu décidé ce premier avril en Martinique et ces bateaux militaires au large qui font des essais de tirs ? Retrouvera-t-on nos libertés après l’épidémie ? Est-ce que cette épreuve mondiale sera l’occasion de repartir sur de meilleures bases ? Ce temps de réflexion sera-t-il salutaire ? Nous oscillons entre espoir et pessimisme. Nous (enfin surtout moi qui suis d’un naturel anxieux et qui suis passablement hypocondriaque !...) essayons de ne pas (trop) y penser et de poursuivre notre vie… il y a des hauts et des bas… l’eau est chaude, il fait beau, les couchers de soleil sont magnifiques et la solidarité fait chaud au cœur. Vivons le moment présent.
J'ai enfin un nouveau smartphone avec un excellent appareil photos...
Accueil d'un rameur à son arrivée après la traversée depuis les Canaries
Le 26 avril un rameur est attendu au Marin après une traversée de l'Atlantique depuis El Hiero aux Canaries, un long périple difficile de plusieurs semaines seul en mer à ramer, ramer, ramer, encore et toujours !
Nous sommes avertis de son arrivée dans la journée et passons des messages sur la VHF et sur le groupe FB pour qu'un maximum de marins viennent l'accueillir avec leur annexe pour les derniers milles. Beaucoup sont sur le pied de guerre toute la journée... mais la gendarmerie maritime les accompagne et personne n'ose s'aventurer à la rencontre du rameur de peur d'avoir une amende pour non respect du confinement ! Dès que nous l'apercevons nous sautons dans l'annexe avec notre corne de brume pour rameuter un maximum de personnes : en vain, nous serons les seuls à accueillir ce rameur !! Les gendarmes ne nous posent aucun problème et nous remontons jusqu'au Marin. Là quelques annexes se joignent enfin à nous mais le pauvre a un bien maigre comité d'accueil après cet exploit et ces 75 jours de solitude. Juste quelques personnes sont à quai pour l'accueillir... et lui mettent d'office un masque sur le visage ! Je suis dans une colère noire : que peut-on espérer de nos concitoyens qui s'avèrent aussi individualistes et peureux ? Au moins nous avons fait le maximum pour l'accueillir décemment...
C'est où ?
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Fil conducteur
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Date de dernière mise à jour : 07/10/2021
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