La transat

C'est le grand Départ !

Vendredi 29 décembre 2017 (J1) – Mindelo - ça y est, le départ est pour aujourd’hui. La météo nous annonce une mer relativement calme les prochains jours. Jean-Luc, notre ami qui fait la transat seul sur Topaze, veut partir aujourd’hui et profiter de la pleine lune. Nous allons rester en contact durant la route et nous retrouver à La Barbade. Il est parti à 7H30 ce matin et nous a souhaité « bon vent » en passant devant notre bateau.

Le stress monte un peu et j’ai dû prendre un somnifère pour faire une dernière bonne nuit. Depuis longtemps je regarde la météo sur cette zone et le plus souvent le vent est entre 15 et 20 nœuds, jamais de coups de vent. Radio « ponton » parle d’une traversée facile avec les alizés et une houle bien ronde qui arrive par l’arrière et fait avancer le bateau. Tout le monde dit que le plus difficile est d’arriver aux Canaries. Je pars donc assez sereine car nous avons maintenant une bonne expérience d’une mer difficile et notre bateau est bien préparé. Hier, un gréeur professionnel, rencontré par hasard alors qu’il est sur son bateau à la marina, a révisé entièrement notre gréement qui vibrait lors de notre traversée vers le Cap Vert.

Durant la nuit on tente de nous voler l’annexe, mais elle est bien cadenassée et les voleurs repartent bredouilles en laissant l’annexe battre contre le bateau, ce qui m’a réveillée. Au matin, en levant l’annexe pour la mettre en position « route » couchée sur le roof arrière, la drisse de la Grand-Voile arrière se coince. Thierry doit monter au mât, aidé par des jeunes français rencontrés à la marina. Nous jetons quelques seaux d’eau de mer sur le pont pour enlever un peu cette couche de sable qui recouvre le bateau : absolument tout est enduit d’une fine couche de poussière ocre jaune bien poisseuse !

L’heure tourne et nous déjeunons avant de lever l’ancre. Dernier coup de fil aux enfants… Thierry fait une petite sieste avant le départ et j’en profite pour ouvrir le livre de bord qui va m’accompagner durant ces journées en mer.

Frustrée de ne pas avoir pu visiter le Cap Vert, mais avec ce vent de sable qui bouche toute visibilité les visites ont moins d’intérêt.

A 14H15 Thierry lève l’ancre… et les problèmes techniques continuent : la patte de blocage du couvercle de la baille de mouillage est tordue et Thiery doit la redresser tandis que je tourne en rond dans la baie de Mindelo.

A 14H30 nous sortons de la baie et c’est parti pour plus de 2000 milles (près de 4000 km), cap à l’ouest ! Nous filons au grand largue sous génois, tribord amure (le vent vient de tribord et les voiles sont sur bâbord) avec 15 nœuds de vent et une petite houle de 2 mètres. Le temps est nuageux et la mer est grise ; il fait frais. A 17H je vais dormir un peu : en mer il faut anticiper sur les besoins de sommeil et profiter de chaque coup de fatigue pour aller dormir.

A la sortie du canal inter-îles l’effet venturi se fait sentir et le vent se lève brusquement à 25 nœuds, la mer se creuse et la houle croisée est vite désagréable. Le bateau lofe (remonte au vent) et Thierry prend un ris dans le génois (il réduit la surface de voilure). Il hisse la grand-voile arrière avec trois ris pour stabiliser le bateau. Ce faisant, un des bouts du lazy-jack casse, ce qui ne facilitera pas les choses pour affaler la voile.

Je prépare des pommes de terre rôties et une omelette. Au fur et à mesure que je cuisine la houle se creuse et ça remue de plus en plus. Lorsque c’est enfin prêt j’ai le mal de mer et ne peux quasiment rien avaler. Dommage pour moi, ça avait l’air bon ! Il faut que je vous explique ce que signifie « cuisiner » dans une mer agitée. D’abord il faut bien se caler pour ne pas être projetée à la première grosse vague. Notre cuisine est pour cela très pratique car c’est un couloir étroit et il suffit de s’adosser à la cloison du moteur pour être en sécurité. La gazinière est montée sur cardans et reste à peu près horizontale. Lorsqu’on ouvre un placard, selon le côté sur lequel le bateau gîte, il faut veiller à ne pas se prendre tout son contenu sur la tête : entrouvrir un peu la porte coulissante et passer la main à l’intérieur pour chercher l’objet désiré. Malgré les « grip » posés sur le plan de travail qui empêchent les choses de glisser, il arrive fréquemment que tout valse à la première  grosse vague. Il faut donc tenir tout ce qui est posé... malheureusement on n'a que deux mains. Bref, c’est du sport !  

Nous enfilons salopettes et vestes de quart pour affronter notre première nuit en mer. La nuit tombe vers 19H et c’est parti pour mon premier quart. Le temps est couvert mais la nuit est assez claire. Malheureusement, la lune ne se lève que vers minuit. Le vent tourne à plusieurs reprises : Nord-Est, Nord-Ouest puis carrément Sud ! Pour finir il se stabilise Sud-Ouest à 15 nœuds. Pour m’occuper, je réfléchis à ce que je pourrai écrire dans ce journal.

Tant que nous sommes dans la zone de perturbation des îles du Cap Vert il nous semble normal que la mer soit mauvaise. Des vagues arrivent dans tous les sens et ballottent le bateau.

Nous prenons chacun notre couchette. Je reste dans la cabine arrière et je dois dormir en travers de la couchette pour être dans le sens du bateau et moins subir la gîte. Thierry s’installe dans le carré : l’allonge de la table s’abaisse pour former une couchette. Il est ainsi à pied d’œuvre et à portée de voix pour intervenir rapidement en cas de besoin.

Samedi 30 décembre (J2) – Durant son quart de nuit, Thierry se bat pour trouver une allure plus confortable. En fin de nuit le vent se stabilise enfin à 10 nœuds de Nord-Est. Pendant ce temps-là, je « gamberge » dans ma couchette. Je suis ballotée de tous côtés et j’ai du mal à trouver dans quel sens dormir. La nuit mes angoisses ressurgissent et j’envisage les pires scénarios, je « sens » des vagues immenses et j’entends un vent terrible siffler dans l’éolienne à l’arrière. Le mal de mer me tenaille insidieusement même si je n’ai pas de nausées. Mais qu’est-ce que je suis venue faire dans cette galère ?!... Au petit matin je craque… ça soulage… Le ciel est enfin bleu après dix jours de brume opaque et de grisaille… une nouvelle journée s’annonce… la situation est plus stable maintenant, ça va aller de mieux en mieux, nous allons bénéficier des alizés… Dans la journée nous croisons un ou deux bateaux. Un poisson volant s’est échoué sur le pont.

En fin de matinée nous sortons le téléphone satellite pour faire le point avec Marion qui retransmet notre position à nos proches. Nous communiquons aussi avec Jean-Luc qui est quelque part non loin de nous. Nous échangeons des SMS car les communications sont hors de prix.

Je fais plusieurs siestes dans la journée pour récupérer de ma mauvaise nuit et je prends du Stugeron pour soigner mon mal de mer.

Vers 5H un rorqual passe le long du bateau et s’éloigne bien vite… rien d’autre à signaler jusqu’au soir 8H où je prends mon quart. Un poisson volant vient mourir à mes pieds dans le cockpit ; quelle idée d’assaillir ainsi les bateaux ? Vers 11H le vent forcit un peu et le pilote déroche lorsque le bateau lofe un peu trop, m'obligeant à reprendre le cap à la barre. Thierry monte prendre un ris et j’en profite pour aller me coucher.

Un début plus difficile que prévu

Dimanche 31 décembre (J3) – Comme je n’arrive pas à me caler correctement dans ma couchette arrière, je viens prendre la place de Thierry dans le carré, mais j’ai du mal à trouver le sommeil. A 5H je prends la relève jusque 7H30. Le jour se lève vers 7H pour cette dernière journée de l’année 2017. Le vent forcit à 20-25 nœuds et la houle augmente. Thierry affale la Grand-Voile arrière car le bateau lofe trop. N’étant plus maintenue par le lazy-jack cassé, la voile pend lamentablement sur le roof et, avec cette forte houle, Thierry n’a pas le courage d’aller se battre avec elle pour la ranger dans son sac. Nous poursuivons sous génois seul. Il installe sa ligne de pêche… et perdra son hameçon dans l’après-midi. Nous faisons le point de situation par téléphone avec Marion et Jean-Luc : ce rendez-vous quotidien devient un rituel, notre seul contact avec le monde. A 13H je prépare une salade composée mais le saladier, lâché une petite seconde, vole avec la part de Thierry ! Je ramasse ce que je peux au sol… Le soleil est agréable et il fait maintenant 27° dans le bateau. L’après-midi est plus calme et nous en profitons tous deux pour faire une bonne sieste.

A 14H30 nous avons fait 240 milles en 48H : c’est plus que notre moyenne habituelle de 100 milles par jour ! Bon, il en reste 1767 à faire…

La migraine me tenaille : migraine ou mal de mer ? Chez moi les symptômes sont les mêmes. A 18H30, avant le coucher du soleil, Thierry nous prépare un « apéro St Sylvestre » : toasts de tapenade d’olives noires (merci à nos équipiers) et ti’punch. A 19H30 je prends mon quart et passe donc seule sous les étoiles les dernières heures de 2017. Je pense très fort aux enfants et à tous nos amis qui fêtent la nouvelle année confortablement dans leur salon. Vers 11H le vent forcit, le pilote décroche à trois reprises et je ne parviens que difficilement à reprendre le cap. Thierry vole à mon secours et  finit par prendre un ris dans le génois. C’est plus calme, mais ça avance moins vite, on se « traîne » à 5 nœuds !

La

Pour ceux que ne le savent pas encore, c’est le pilote automatique qui gère la barre et maintient le cap du bateau, il n’y a pas à barrer, sauf cas exceptionnel. Faire son quart consiste donc à veiller à ce qu’aucun bateau ne soit en « route de collision » avec nous (assez peu probable au milieu de l’Atlantique). La surveillance des bateaux est facilitée de nos jours par un outil génial qui s’appelle l’AIS. Chaque bateau émet un signal qui est décrypté par les ordinateurs de bord. Nous avons un écran à la barre avec un logiciel de navigation qui nous signale donc les bateaux alentour : leur emplacement, leur vitesse, leur cap et à quelle distance on va le croiser. Cet écran peut être orienté côté barre ou côté cockpit de sorte qu’on peut le surveiller en restant assis sous la capote bien à l’abri du vent et de la pluie. Il faut également veiller à la bonne marche du bateau. En cas de dégradation ou amélioration des conditions météo il faut ajuster la voilure : prendre un ris signifie réduire la voile. Il est bon aussi de surveiller le ciel à l’affût des grains qui peuvent être violents. La veille consiste essentiellement à surveiller le cadran de la girouette pour s’assurer que le bateau reste bien positionné par rapport au vent (au grand largue, le vent arrive quasiment par l’arrière du bateau). Lorsque le vent forcit le bateau a tendance à « lofer » (c’est-à-dire se diriger vers le vent) et, lorsqu’il remonte trop au vent, le pilote ne parvient plus à ramener le bateau sur son cap : il se met alors à biper pour avertir. Dans ce cas il faut mettre le pilote en « standby » et prendre la barre pour ramener le bateau sur le bon cap. En général l’opération est délicate parce que le bateau s’obstine à remonter au vent. Il arrive aussi qu’en ramenant le bateau il aille trop loin dans l’autre sens : le vent arrive alors par l’autre bord et les voiles se bordent à contre. Difficile ensuite de revenir sur le bon bord. Veiller consiste aussi à être à l’écoute des bruits du bateau : les drisses qui cliquettent dans le mât, le bruit du vent, les voiles qui claquent… Tout bruit nouveau doit être identifié car c’est un problème potentiel.

1 girouette                  1 traceur quotidien

 

Lundi 1er janvier 2018 (J4) – Je parviens à m’installer en travers de la couchette : je me cale entre oreillers dans mon dos et couette sous le ventre. Mes jambes peuvent dépasser du lit. Ainsi calée je réussis à dormir jusque vers 4H. Après je « gamberge » et pense à ceux qui sont là dans de moins bonnes conditions que nous : la famille allemande rencontrée à Mindelo qui part sur un 9,50m avec deux jeunes enfants, les rameurs sur leur petite embarcation en proie aux vagues… J’en suis là de mes cogitations quand une vague me jette en bas du lit (c’est-à-dire à sa tête). Je vais finir ma nuit dans le carré mais ne parviens pas à trouver le sommeil. A 7H30 je me lève et Thierry va se coucher. On se croise. Je lui ai chauffé le lit. La nuit et mes angoisses sont enfin finies. Le vent souffle toujours à 20-25 nœuds et la mer se creuse encore davantage : des creux de 5 mètres chahutent le bateau. Je suis fatiguée, j’ai mal aux reins et je ne peux rien avaler pour déjeuner car le mal de mer ne m’a pas encore quittée. Après quelques ratées du pilote la situation se stabilise, le vent devient plus régulier. A 10H30 un cargo est en vue… sur notre écran grâce à l’AIS. A 11H45 Thierry pêche une belle dorade coryphène : notre repas de la St Sylvestre est livré ! Cuisiner dans ces conditions de houle est sportif mais je prépare les filets de dorade grillés avec du riz pilaf aux petits oignons, sauce safran et lait de coco. Avec un petit verre de vin blanc c’est délicieux. Le mal de mer a fini par passer et je peux me régaler. Après le déjeuner Thierry va faire la sieste et me laisse seule avec des creux de 5 mètres… un peu de stress mais j’assume ! Ces vagues sont impressionnantes mais une fois que je constate que le bateau les passe sans problème, elles ne m’effrayent plus… je finis même par les trouver belles. Les grosses vagues font basculer le bateau sur un bord lorsqu’il monte sur la vague, puis sur l’autre bord lorsqu’il redescend. Il arrive fréquemment que l’eau envahisse le plat-bord.

La femme de Jean-Luc nous envoie la météo par Irridium : pas d’amélioration avant au moins vendredi… Je suis vraiment fatiguée d’être secouée ainsi et savoir que ça va durer encore plusieurs jours me met le moral dans les chaussettes. Mais l’avantage avec ce vent est qu’on avance bien avec une moyenne de 130 milles par jour. Dans l’après-midi le vent forcit à 30 nœuds avec de bonnes rafales, la mer se creuse encore et les vagues atteignent maintenant 5-6 mètres mais se disciplinent un peu de sorte que le bateau bouge moins. Dans l’après-midi la canne à pêche se déchaîne… une touche… qui emporte le câble et tous les appâts : ça devait être du gros ! Vers 19H je fais juste une purée avec du jambon : trop de houle pour cuisiner cette fois. Je prends mon quart et le vent faiblit à 25 nœuds. La houle diminue elle aussi mais recommence à venir de tous côtés de sorte que le bateau est à nouveau très secoué. Le pilote bipe une première fois et je parviens à rétablir le cap. Cinq minutes après, « rebelote », je prends la barre et je me prends une belle douche par une grosse vague qui nous prend en traitre par le côté. Comme je n’avais pas ma veste de quart, je suis trempée et dois aller me changer des pieds à la tête ! Le reste de la nuit se passe sans incident. Lorsque je rejoins enfin ma couchette, je constate que les coussins sont trempés. Me voilà repartie pour dormir dans un lit bien humide… est-ce à nouveau le tank d’eau qui fuit ? Non, l’eau est salée, cela doit venir de l’arrière. J’installe des sacs poubelle pour me protéger un peu et m’installe pour la nuit. De toute façon je dors habillée, ça protège de l’humidité.

Cherche Alizée désespérément !

Nous espérions bénéficier des alizés réputés faciles : vent stable de Nord-Est et surtout houle bien ronde qui vous pousse vers l’avant, mais la situation ne ressemble pas du tout à cela ! Le vent s’établit à 20-25 nœuds et une grosse houle croisée rend la navigation carrément pénible : la houle principale est d’Est et les vagues du vent sont de Nord-Est, de sorte qu’une vague prend le bateau par l’arrière tribord et la seconde par l’arrière bâbord : ça bouge sans cesse d’un bord à l’autre ! Les vagues sont fortes et les creux atteignent 5 ou 6 mètres. Mais où sont donc les alizés promis ?

Mardi 2 janvier (J5) -  Thierry assure le quart jusque 8H30 et me laisse dormir. Le vent se calme et tombe à 15 nœuds, le ciel est nuageux, la houle faiblit mais recommence à être croisée. Le bateau perd de la vitesse et il est d’avantage secoué. Nous rétablissons la totalité du génois et notre vitesse augmente d’un nœud. Ce matin, pas de nouvelles de Jean-Luc… on s’inquiète un peu…

A 13H nous recevons un SMS de ma nièce qui nous annonce la naissance de sa fille Gabrielle. Cette nouvelle au milieu de l’océan me remplit de joie.

A 14H30 nous faisons le point traditionnel pour connaître notre avancée journalière : nous avons fait le quart du trajet ! Ça fait bizarre de nous voir sur l’écran au milieu de ce grand océan. On se sent si petits et perdus ! Nous sommes surpris de voir des oiseaux à une si grande distance de la terre : où dorment-ils, sur notre pont ?

Nous recevons enfin un SMS de Jean-Luc : il est à 20 milles au nord… ouf…

Thierry retarde sa sieste et du coup la mienne est décalée d’autant. Je tente de dormir mais, dans un demi sommeil, mon cerveau cogite… impossible de me reposer et pourtant je dois faire mon quart, affronter la nuit sans lune… Je me lève, m’habille et… je craque ! Je pleure un bon moment. Thierry nous prépare un ti’punch pour me déstresser. Il reste avec moi et je vais me coucher à 10H : il m’offre une nuit de sommeil !

La fatigue physique due aux mouvements incessants du bateau, le manque de sommeil, les nuits sans lune, l’appréhension de se savoir si éloignés de tout alimentent le stress. Même si à aucun moment je ne me sens en danger, la navigation dans ces conditions ressemble un peu à la conduite de nuit à 180 km/h sur l’autoroute sous la pluie : beaucoup de sensations et une tension nerveuse soutenue. Au bout de quelques jours à ce rythme j’ai du mal à gérer cet excès d’adrénaline !

Vendredi 3 janvier (J6) – La nuit est un peu agitée. Je suis réveillée plusieurs fois par le génois qui se borde à contre et claque très fort. A 6H je reprends Thierry qui peut enfin dormir. A 8H30 nous décidons de changer de cap pour descendre vers le 14° parallèle en espérant y trouver de meilleures conditions météo. Ce nouveau cap nous amène à changer de bord et poursuivre au grand largue sur  bâbord amure. Nous mettons près d’une heure pour régler correctement le bateau sur ce nouveau bord et trouver le meilleur cap pour passer les vagues au mieux. Nous maintenons un ris dans le génois car le vent souffle à 25 nœuds. La houle est moins forte avec des creux de 3 mètres « seulement ». Thierry profite de cette relative accalmie pour ranger la grand-voile arrière qu’il avait laissée pendre en vrac sur le roof ; cela lui prend un bon quart d’heure à batailler avec la voile, en équilibre précaire sur l’annexe. Quant à moi, je profite que l’on gite maintenant sur tribord pour sortir quelques conserves du placard sans qu’elles me sautent à la figure lorsque j’ouvre la porte. Je fais même un peu de vaisselle et de ménage dans la cuisine tandis que Thierry dort.

Vers midi notre écran nous signale un bateau de pêche, mais, à 15 milles de nous nous ne le voyons pas. Malgré tout cela fait plusieurs jours que nous n’avons pas croisé de bateau et cette présence me rassure un peu.

Jean-Luc est maintenant à 55 milles de nous car il a continué sur le 15° parallèle. Il a décidé d’aller directement à St Barth et de ne pas nous accompagner à la Barbade.

Depuis ce matin nous voyons plein d’algues rousses flotter à la surface.

0 algues

Le changement d’amure ne m’a pas réussi car j’ai à nouveau le mal de mer.

A 17H30 nous reprenons notre cap Ouest et revenons tribord amure. Cette fois le réglage du bateau est plus rapide. La houle et le vent ont diminué et le bateau est plus stable. Enfin un peu de calme ! Un oiseau blanc tourne autour du bateau : cherche-t-il à atterrir ?

Thierry nous sert un apéro ti’punch, saucisson et ships. Comme d’habitude ce sera notre repas du soir. Je prends le quart à 19H30 mais pique du nez vers 22H… Thierry me réveille et me reprend pour que je puisse aller me coucher. J’ai malgré tout du mal à trouver le sommeil car je suis bien ballottée de gauche à droite, mais finalement je dors comme un bébé !

Jeudi 4 janvier (J7) – Le quart de Thierry est à peu près calme bien que le pilote décroche quelques fois. A 4H trois très grosses vagues secouent le bateau. Je suis projetée et réveillée en sursaut. Puisque je ne dors plus je reprends le quart : un café-sucre-gofio et c’est parti jusqu’au lever du jour. Comme toujours le vent et la mer augmentent au petit jour et le pilote décroche plusieurs fois de suite. Thierry se lève pour prendre un ris dans le génois. Nous espérions trouver du calme en descendant au sud mais c’est raté ! Vers midi je tente d’aller dormir mais je suis trop ballottée et ne trouve pas le sommeil. Je ressors et constate que la mer a encore grossie (certaines atteignent bien 6-7 mètres maintenant… ou est-ce moi qui exagère ?) et le vent est monté à 25-30 nœuds… c’est reparti !! Thierry tente de me rassurer en me disant que c’est « calme »… mais il prend un second ris dans le génois. Je reprends un bon coup de stress…. Ras le bol des vagues !!!... et peu d’espoir que ça s’améliore. J’avale un demi anxiolytique et Thierry me lit des passages de son livre « 2 ans sur le gaillard d’arrière » pour me changer les idées (en mer je ne peux pas lire sans avoir le mal de mer).

La température augmente de jour en jour : il fait maintenant 28° dans le bateau. Thierry passe sans transition de la tenue bottes-salopette-veste de quart à… slip et t-shirt !

Thierry constate que les coussins de la cabine avant sont trempés. Nous qui pensions avoir enfin résolu les problèmes d’infiltration depuis la baille de mouillage ! Malgré les très grosses vagues il va à l’avant du bateau vérifier que la pompe fonctionne, c’est OK. Alors que se passe-t-il ? Soulagement, c’est une grosse bouteille de 8 litres d’eau qui a explosé.

Heureusement en fin d’après-midi ça se calme un peu et nous prenons l’apéro saucisson dehors. En l’espace d’un quart d’heure la mer s’aplatit et il ne reste que des trains de vagues de 4-5 mètres ! Ouf ! Thierry nous fait une bonne soupe à l’oignon et je fais la vaisselle du jour.

La nuit est tombée, c’est parti pour mon quart relativement calme… sauf que vers 11H ça se dégrade à nouveau et le pilote décroche 2-3 fois de suite. Impossible de maintenir le cap. Thierry monte prendre un deuxième ris dans le génois et m’envoie me coucher. Je prends à nouveau un demi anxiolytique en espérant dormir…

Vendredi 5 janvier (J8) – La nuit est à peu près tranquille excepté quelques trains de grosses vagues qui me réveillent. Je prends la relève à 8H : la journée s’annonce encore venteuse… Cela fait maintenant une semaine que nous sommes maltraités par les vagues croisées et la fatigue se fait sentir. Sur l’écran on a toujours l’impression d’être au milieu de l’Atlantique et ça va durer encore plusieurs jours avant de nous voir de l’autre côté. Impression de ne pas avancer alors que nous faisons chaque jour 120 ou 130 milles ! A cette allure, nous devrions mettre moins de 15 jours maintenant.  Patience… se mettre dans la tête que toute la traversée va être ainsi. Heureusement la mer est si belle et le bateau file.

Vers 10H le génois se gonfle à contre plusieurs fois de suite. Thierry monte voir ce qu’il se passe : le vent a légèrement tourné plus au Nord. Réglage du bateau (génois en ballon) et nouveau cap plus au Sud (moins 9°). Sur ce nouveau cap le bateau prend les vagues plus par l’arrière : il est plus rapide et c’est plus confortable. Le ciel se dégage, va-t-on enfin avoir du meilleur temps ?

En fin de matinée nos traditionnels échanges nous confortent dans notre choix de route : Jean-Luc subit toujours une grosse houle et Marion nous annonce une météo inchangée.

Je profite de cette relative accalmie pour prendre enfin une bonne douche : ça me fait un bien fou ! Je fais un peu de ménage car la cuisine est bien malmenée elle aussi.

Le ciel se couvre à nouveau avec un petit coup de vent durant un quart d’heure avant de se calmer à nouveau. La mer reste une bouilloire.

Mon quart du soir est assez calme avec une mer presque plate : du bonheur ! Mais ça ne dure pas et le vent forcit à nouveau, le pilote décroche plusieurs fois. Thierry vient prendre un ris et nous essuyons deux grains successifs avec des vents à 30 nœuds.

Un week-end très difficile

Samedi 6 janvier (J9) – La nuit est agitée pour Thierry : vent variable et houle croisée. Il entre et sort le génois au fur et à mesure des sautes de vent et des grains. Une grosse pluie nettoie le bateau du sable du Cap Vert. A 9H30 nous changeons d’amure et prenons un cap Sud-Ouest. Le vent souffle à 35 nœuds et une grosse houle se forme à nouveau.

A 10H je sors et vois ces grosses vagues et la girouette qui marque 37 nœuds. C’est trop de sensations pour moi et je rentre me calmer à l’intérieur, laissant Thierry se battre avec la barre chaque fois que le bateau lofe. A 13H30 il va à l’avant hisser la trinquette qu’il met en paillon avec le génois auquel il a pris deux ris. Victoire : le bateau tient le cap en vent arrière.

Nous avions demandé à notre fils de nous envoyer un fichier météo pour la semaine à venir. Il nous faut une heure pour charger le fichier et perdons une grande partie de notre crédit satellite. Pour la journée et demain le vent va souffler à 25 nœuds mais ensuite, miracle, le vent va tomber à 15-20 nœuds, ce qui va être enfin moins épuisant ! Mais encore deux jours à ce rythme, ça me fatigue rien que d’y penser…

A 16H30 le vent se calme un peu. Je peux prendre la relève de Thierry qui s’endort immédiatement.

0 vague

A 7H45 nous passons le 40° parallèle et à 8h45 nous avons fait exactement la moitié du chemin… Plus que 9 jours ?...

Nous constatons que le frigo est en panne : il va me falloir cuisiner au plus vite la viande du freezer. Moi qui avais déjà un peu sous-dimensionné le stock de nourriture… cela ne va pas arranger les réserves. Mais, pas de panique, nous avons des pâtes et du riz pour des mois !

A la nuit le vent reprend et nous essuyons quelques grains. A 22H30 le point d’écoute de la trinquette lâche et la voile claque au vent dangereusement. Vite, il faut intervenir ! Nous sortons dans la nuit sous une pluie battante et Thierry va à l’avant pour ficeler le point d’écoute avec un bout. Il se bagarre avec la voile qui bat violemment. Je surveille en angoissant qu’il ne tombe à l’eau mais tout va bien. Nous repassons ensuite tribord amure. Nous rentrons trempés dans le carré. Le reste de la nuit est très agité ; nous passons en mode « on attend que ça passe » et restons à l’intérieur. Nous avons scotché une bâche en plastique transparent sur le couvercle du cockpit pour protéger le carré du vent et de l’eau.

0 protection

Dimanche 7 janvier (J10) – fatiguée, je dors jusque 10H malgré les vagues croisées qui nous secouent. Au matin la mer est toujours forte mais le vent se maintient à 20-25 nœuds. Le ciel est nuageux.

A 11H l’AIS nous signale un cargo. Le vent se calme un peu mais il faudra encore du temps avant que la mer soit moins grosse. La pluie de cette nuit a lavé le bateau : les sacs à voile sont redevenus bleus, les filets blancs et on peut se frotter aux haubans sans repartir ocre jaune.

Malgré les vagues je cuisine des steaks avec une sauce au roquefort, ça réconforte l’équipage.

Je fais la sieste de 14 à 16H et, lorsque je refais surface, les rafales de vent montent à nouveau à 25-30 nœuds et la mer s’est encore creusée ! En finira-t-on un jour ? Thierry se bat avec le bateau qui lofe sans cesse. Marion nous envoie un SMS d’encouragements qui me fait chaud au cœur. Elle doit s’inquiéter pour nous en voyant la météo… Pour me changer les idées je regarde une vidéo mais je ne tarde pas à avoir le mal de mer. A 20H j’essaye de faire une purée jambon mais le mal de mer a raison de moi. Je m’écroule sur ma couchette et dors jusque 23H. Je remplace Thierry qui a assuré mon quart… A 23H un cargo est sur notre route, il arrive derrière nous. Thierry l’appelle à la radio pour lui demander de s’écarter, ce qu’il fait. C’est inouï, il y a si peu de bateaux et nous parvenons malgré tout à être en route de collision avec un cargo ! La voie est libre, je me rendors et Thierry aussi : les alertes collision nous réveilleront en cas de problème.

Ca se calme enfin !

Lundi 8 janvier (J11) – A 1H30 une grosse vague me réveille. Thierry dort à poings fermés… jusque 2H où il ouvre un œil. L’AIS nous signale un cargo qui passe au loin. Je me recouche. Le reste de la nuit Thierry essuie des grains avec plein d’éclairs, mais bizarrement aucun coup de tonnerre. Il prend trois ris dans le génois : c’est notre record.

Je me réveille à 10H, le temps est tout gris, il pleut mais la houle a diminué et le vent faiblit à 10-15 nœuds. Les prévisions d’amélioration seraient-elles justes ?

A 11H la mer est assez calmée pour que Thierry puisse enfin aller tangonner le génois pour qu’il ne claque pas sans cesse ou se borde à contre. Avec la trinquette en papillon le bateau est stabilisé en vent arrière et file à 5-6 nœuds. C’est tellement plus confortable ! Quel dommage que nous n’ayons pas tangonné dès le Cap Vert.

0 tangon                       0 voiles en papillon

Je cuisine des côtes de porc avec tous les légumes qui vont se perdre. Excellent avec un petit verre de vin blanc. Ça nous fait un bien fou de manger un bon repas et d’être enfin plus au calme. Le moral remonte. Le ciel est gris mais il ne pleut pas. Je peux enfin faire un grand nettoyage du frigo qui a totalement dégivré.

Bien que le vent ait faibli nous tenons la moyenne et nous espérons arriver à la Barbade dimanche ou lundi. Allez, courage.

Je savoure le temps calme depuis une petite heure quand, vers 16H, le vent se lève une nouvelle fois ! Le bateau lofe… Thierry émerge… impossible de ramener le bateau… nous prenons un ris… pas mieux… un second ris… ouf, c’est stabilisé ! Mais va-t-on enfin avoir une meilleure météo ?!

SMS de Jean-Luc : il a passé une nuit blanche à se battre contre des grains très violents. Heureusement pour nous ici c’est un peu plus calme.

La soirée est enfin plus paisible avec seulement 10-20 nœuds de vent. Thierry prend un ris et demi pour « assurer ». C’est une nuit sans lune et l’obscurité est propice à alimenter mes angoisses. Thierry reste bavarder avec moi jusque 22H puis je reste seule jusque 1H du matin. Aucun incident. Une fois couchée l’annexe fait un barouf épouvantable. Thierry sort pour retendre les sangles et je peux enfin dormir au calme.

Fin de traversée plus calme… mais pas toujours !

Mardi 9 janvier (J12) – Rien à signaler durant la nuit. Thierry a sous-toilé pour être tranquille. Je me lève à 8H. Le temps est gris et plus frais. Le vent souffle gentiment à 15 nœuds…

A 10H nous avons fait environ les deux tiers du trajet : la fin sera-t-elle plus tranquille ?

Le pilote affiche « battery low ». Est-ce la raison de son manque de réactivité ces dernières heures ? Nous allumons le moteur pour recharger les batteries.

SMS de Jean-Luc : il a enfin touché les alizés ! Nous aussi ?

A 11H30 la courroie d’alternateur lâche brusquement. C’est parti pour une heure de mécanique ballotté par la houle ! Ensuite c’est douche bien méritée et surtout indispensable pour Thierry qui ressort tout noir de sa bagarre avec le moteur. Nous la prenons dans le cockpit avec des bouteilles d’eau pour nous arroser.

0 douche

Le soleil se montre et il ne reste que quelques gros cumulus blancs dans le ciel. Je prépare un filet mignon de porc au chou qui s’avère pourri et remplacé par des pommes de terre.

Nous filons au grand largue, tribord amure, et la trinquette est affalée. Nous faisons des surfs à 7-8 nœuds. Température idéale. Vent 15 nœuds. Soleil. Un moment de bonheur après avoir mangé un bon plat ! Je fais un gros dodo de 17H15 à 20H. Récupération.

0 vague 2

Le soleil se couche à 20H. Durant mon quart je vois un bateau sans AIS, certainement un voilier, qui vient devant nous et va vers notre travers bâbord. Où va-t-il ainsi contre le vent ?

Mercredi 10 janvier (J13) – la nuit est calme pour Thierry. L’amélioration météo se confirme.

Au matin l’alimentation de l’ordinateur de Thierry prend feu dans ses mains (c’est dangereux, mieux vaut ne pas les laisser branchées sans surveillance…). C’est sur cet ordinateur que nous avons installé le logiciel de navigation. Heureusement l’alimentation de mon ordinateur est la même.

Je me lève à 9H30 et la journée s’annonce radieuse : soleil, quelques cumulus, vent 10-15 nœuds et petite houle mais encore croisée. Ce sont des conditions presque idéales de navigation. Mais dans la journée le ciel se couvre et quelques grains passent non loin de nous provoquant un bel arc en ciel. Le temps va-t-il encore se détériorer ? Nous essuyons quelques averses, puis, vers 15H, le vent forcit à 15 nœuds. Après un apéro ti’punch-saucisson je prends mon quart. Vers 10H le vent forcit encore et nous subissons quelques grains sans grande violence. Le bateau lofe et Thierry vient prendre un ris. La routine.

0 lumiere

Jeudi 11 janvier (J14) – La nuit est agitée pour Thierry avec un vent de 15-20 nœuds qui forcit à 25-30 sous les grains. La houle se creuse à nouveau. Thierry prend un second ris.

Je passe une mauvaise nuit car mes angoisses me reprennent. Je suis épuisée et je gère très mal le stress sur le long terme. Heureusement au matin le temps s’est amélioré et le vent est revenu à 10-15 nœuds avec une petite houle.

Je prépare des pommes de terre aux courgettes avec une omelette. Je descends faire une grosse sieste pour récupérer de ma nuit agitée. A peine endormie je suis réveillée par Thierry qui tente de hisser la grand-voile arrière, mais ça ne fonctionne pas et il affale la voile. Je sors pour l’aider mais, encore toute endormie, je ne réagis pas assez vite à son goût… le ton monte et moi je redescends me coucher, le laissant manœuvrer tout seul. La fatigue n’est pas pour la paix des ménages…

Le temps reste beau toute la journée. Le soir Thierry nous fait une soupe à l’oignon avec l’apéro. Mon quart est très calme. Je commence à récupérer des journées difficiles.

Vendredi 12 janvier (J15) – Les conditions météo restent stables et le temps est beau. Comme le soleil se couche de plus en plus tard et que nous sommes à 300 miles de la Barbade, nous décidons de passer de l’heure du Cap Vert (Paris -2H) à l’heure des Antilles (Paris -5H). Nous faisons donc moins 3H aux horloges du bord : à midi nous revenons à 9H.

A 10H le tangon se détache du mât. Nous enroulons le génois pour que Thierry puisse le remettre en place.

Aujourd’hui est jour d’affluence : à 11H nous voyons deux cargos dont un qui passe à 1,5 milles de nous. Dans l’après-midi l’AIS nous signale un tanker. On sent qu’on approche et ça nous donne du baume au cœur.

La journée est tranquille avec ses habitudes. Comme la houle a bien diminué je peux même piquer le bouquin de Thierry et lire la suite. Ils passent le Cap Horn en hiver dans des conditions épouvantables… Non, je n’irai JAMAIS par là-bas !

Samedi 13 janvier (J16) – Je prends le quart de 3H30 à 5H30 puis vais me recoucher. Je suis réveillée par des bruits de casserole : Thierry fait des crêpes ! Hum, miam, j’ai faim. Avec la houle c’est un peu sportif et par deux fois les crêpes valsent par terre. Nous nous installons à la table du cockpit pour déguster les crêpes avec une bouteille de cidre. Ensuite, il n’y a plus qu’à nettoyer la cuisine !

Ce matin encore l’AIS nous signale un cargo à proximité.

La journée est agréable et sans incident aussi nous en profitons pour nous reposer au maximum.

Vers 17H30 nous assistons en direct à un phénomène météo intéressant. Sur l’arrière tribord (côté nord) un grain s’annonce avec une masse de nuages gris. Nous nous attendons à ce qu’il passe sur nous. Mais devant nous au sud une masse de nuages gris ardoise semble avancer vers nous également. C’est une masse d’air chaud venant du sud qui va heurter la masse d’air frais venant du nord. L’air frais s’engouffre sous la masse d’air chaud qui monte et passe au-dessus de nous en provoquant un grain violent. Le vent forcit et il pleut averse. Nous prenons un ris, nous mettons vite à l’abri dans le carré et fermons les écoutilles. Le vent tourne et nous partons en fuite cap Nord-Ouest. Curieusement sous ce grain violent le bateau file à 9 nœuds tout en douceur sans roulis ! Thierry nous fait une soupe à l’oignon et nous restons bien au sec dans le carré. Vers 20H30 le grain s’atténue et nous pouvons reprendre un meilleur cap.

A 21H le pilote se met à biper sans cesse. Thierry affronte la pluie et constate que le pilote a pris l’eau et refuse de fonctionner. Le bateau s’est mis à la cape tout seul : génois gonflé à contre et barre vers le vent. Nous voulions expérimenter cette allure : c’est réussi sans effort. Le bateau est bien stable et dérive doucement. Thierry démonte le pilote et tente de le réparer mais il a pris trop d’eau et refuse de redémarrer. Pas de problème : nous en avons deux d’avance (forts de l’expérience faite à notre retour en Bretagne durant la saison 2). En quelques minutes le nouveau boitier est installé. Il est 22H, le grain est passé et nous reprenons notre route. Le vent ayant tourné notre nouveau cap est trop au nord, mais nous avons encore le temps de rectifier le tir. Le vent tombe et le bateau avance tout doucement.

Dimanche 14 janvier (J17) – A 3H30. l’AIS détecte un cargo qui doit passer très près de nous. Thierry l’appelle à la radio pour lui demander de s’écarter un peu de notre route. L’appel me réveille. Nous voyons passer le cargo à un bon mille de nous. Dans la nuit cette tâche de lumière et de vie est toujours un réconfort. Puisque je suis levée je reprends le quart. Avant le jour je surveille de gros nuages à l’horizon. Lorsqu’enfin je juge que le grain va passer à côté je descends aux toilettes… et c’est une pluie averse qui s’abat sur nous ! J’ai encore des progrès à faire en observation météo.

A 6H je dézoome l’écran et enfin je vois, à l’échelle 10mn, à la fois le bateau et la Barbade ! Quel bonheur de se sentir enfin si près du but !

1 traceur arrivee

La journée passe tranquillement à compter les milles qui nous séparent de la fin du voyage. La mer étant assez calme je peux aller m’installer sur le banc à l’avant à l’ombre de la voile. Thierry pêche un poisson qu’on mange avec du riz et une sauce au poivron et à la crème : notre dernier repas en mer ! A 17H j’aperçois la terre !!! Thierry va dormir tandis que je fais l’approche de l’île que nous devons contourner par le nord. Passée la pointe Thierry prend les commandes pour faire l’arrivée. Nous mouillons à 11H devant une cimenterie bien éclairée, ce qui facilite l’arrivée. Voilà, c’est FINI. Un petit coup de téléphone à Marion et dodo. Le mouillage est calme avec une légère houle. Nous passons une dernière nuit dans nos couchettes respectives, trop fatigués pour refaire le lit de notre cabine.

Premier jour "de l'autre côté"

Le mouillage est sauvage devant une immense plage bordée de végétation. La cimenterie se fait oublier. Nous prenons notre premier petit déjeuner depuis deux semaines dans le cockpit avec du thé et des tartines… mais sans beurre car sans frigo il est passé au fond de l’océan. Nous piquons une tête dans l’eau : c’est comme annoncé, d’un beau bleu lagon et juste à la bonne température. Des pousse-pied ont déjà colonisé la coque du bateau et Thierry sort la spatule pour s’en débarrasser. Il essaye ensuite sans succès de réparer le moteur hors-bord qui a refusé de fonctionner juste avant notre départ de Mindelo. Il va falloir trouver un mécano.

Après le déjeuner nous poussons de quelques milles au sud pour aller à la marina de St Charles mais il n’y a aucun ponton pour les visiteurs et nous jetons l’ancre devant la digue. Le moteur Hors-bord de l’annexe Nous allons à terre faire notre première clearance. Nous passons dans trois bureaux successifs où des fonctionnaires nous reçoivent poliment. Visiblement nous les dérangeons car des bruits de film émanent de chaque bureau. Voilà : nous sommes officiellement entrés à la Barbade. Il n’y a aucun mécanicien pour le moteur ici et nous décidons d’aller le lendemain à Bridgetown, capitale de l’île. Nos aventures antillaises (de l’autre côté, comme on le dit entre marins) commencent !...

0 mouillage         0 pousse pied

 

Fiers de notre transat

Nous avons mis très exactement 16 jours et demi pour parcourir 2025 milles (soit environ 3800 km). Notre moyenne journalière est de près de 130 milles, alors qu’en général nous faisons 100 milles par jour. Nous avons eu des conditions difficiles – vents forts et grosse houle croisée – alors que nous espérions bénéficier des alizés réputés agréables. Le plus dur est paraît-il d’aller jusqu’aux Canaries… Evidemment, ensuite nous sommes habitués à ce que ce soit difficile ! Nous sommes heureux et fiers  d’avoir fait cette traversée à deux. Ce n’est bien évidemment pas l’exploit du siècle, mais c’est « notre » exploit. Thierry peut aussi être fier d’avoir refait un bateau fiable qui nous a amenés ici en toute sécurité. C’est l’aboutissement de plusieurs années de préparation du bateau et d’entrainement de l’équipage.

Les conditions de navigation étaient parfois impressionnantes (surtout pour moi) mais jamais nous ne sommes sentis en danger. La houle croisée était fatigante car elle ballotte le bateau d’un bord à l’autre : il faut sans cesse maintenir l’équilibre et tous les gestes de la vie quotidienne deviennent difficiles. Vous connaissez le « dîner de con » et ce gars qui compte les allumettes nécessaires à construire sa maquette de la Tour Eiffel ? Eh bien je me suis amusée à estimer le nombre de vagues que nous avons subies : à raison d’une toutes les 5 secondes, cela fait environ … 285 000 vagues ! De quoi être épuisé.

Ils ont traversé en même temps que nous

A la Restinga (El Hierro – Canaries) nous avions rencontré deux bretons qui préparaient leur départ pour une traversée en solitaire. Ils sont tous deux partis fin décembre 2017.

Xavier, de Concarneau, traverse à la rame. Ça devient banal, mais c’est tout de même un sacré exploit, la route est longue et difficile !... Son objectif est de faire des ponts entre sa traversée de l’océan et la traversée du désert que représente la maladie d’Alzheimer. Il travaille au quotidien avec des malades qui vont suivre ses aventures. Il a monté une association de soutien et plusieurs écoles le suivent dans son périple. C’est donc avant tout une aventure humaine.

Vous pouvez le suivre au quotidien sur Facebook : « Un Océan de Maux – Atlantique Rame Challenge 2017 » ou sur son site « unoceandemaux.com ».

0 rameur

Hervé, de Tréburden, tente une première mondiale avec une traversée à la godille ! C’est un projet technique qui l’occupe depuis plus de deux ans. Il a conçu et fabriqué un bateau et révolutionné la technique de la godille.

Vous pouvez le suivre sur son site : « Atlantique-godille.fr »

0 godille

Nous sommes très admiratifs de leur courage et de leur ténacité et leur souhaitons bonne chance. A l’heure où j’écris ces lignes ils sont tous deux en plein milieu de l’Atlantique et vont devoir encore ramer et godiller un bon mois avant d’arriver en Martinique.

Des nouvelles des bateaux connus

Fin janvier au Marin nous recroisons Olivier et Chloé sur Gorgona et patrick et Andrée sur Patandré. Gorgona est parti le même jour que nous pour la Martinique. Eux aussi ont souffert de la houle, bien que leur catamaran soit plus confortable. Ils ont essuyé un grain avec 60 noeuds de vent. Patandré est parti la semaine suivante et pour eux la transat a été tranquille...

Extrait du mail de Philippe, Nancéen rencontré à Gran Tarajal. Les vents étaient contraires et tous lui conseillaient d'attendre... mais l'appel de la mer a été le plus fort.

Arrivée à Tartane le jeudi 21 vers 17h, nous avons tenu bon Cérémo et moi, c'était une traversée magnifique!!
Je mentirais si vous disais qu'un jour j'avais perdu espoir, jamais je n'ai réfléchi à un message d'abandon, mais j'ai douter parfois, surtout après la perte du pilote secondaire à Mile Milles d'arriver et les problèmes avec le vérin du principal à 3j du but.
Heureusement les Alizés (et les courants) m'ont permis de faire carton plein les 10 derniers jours. je ne les connais pas beaucoup mais la nuit c'est formidable, ils
poussent le bateau avec une régularité incroyable, pas mal de grains à l'approche des Antilles, pas très méchant mais un peu gênant d'être réveillé par le pilote qui ne
contrôle plus la situation.

Le projet d'une traversée, un concours de circonstances, un peu osée au regard de mes compétences en navigation, le défi supplémentaire de ne plus passer les fêtes
au Cap Vert mais aux Antilles compliquait encore.
Des préparatifs complexes et des contretemps perturbants, mais il m'aurait été trop difficile de renoncer sans raisons suffisantes, comme
quoi il est souvent bénéfique de persévérer.
Ce n'est pas un exploit mais une satisfaction tout de même, juste une impression de réussite pour compenser des périodes moins drôles.
Un voyage aux allures d'autrefois mais avec des moyens récents, il m'est arrivé d'en baver, il faut supporter les coups quand ça tape fort, ça bouge beaucoup et on se cogne partout sur un voilier de cette taille. Mais c'était vraiment génial, le premier de mes grands voyages. Plus d'un mois de navigation sans jamais m'ennuyer, souvent en quête d'efficacité sur le bateau ou le matériel de pêche, la remise en état de tel ou tel équipement, le ménage et la cuisine, la lecture et la musique etc..
Et puis, j'ai fait des rencontres inattendues, des gens, des animaux, des sensations, des sentiments, des jours, des nuits, des lunes et des étoiles. Certains soirs,
c'était féérique, à faire rêver comme dans un conte. Une pensée qui génère une présence ou alors une visite, de l'oiseau qui se pose épuisé, des dauphins joueurs ou des poissons curieux sous le bateau quand j'allais dans l'eau. Sans oublier les démonstrations incessantes des poissons volants que j'ai regardé inlassablement.
Quel bien-être dans ces éléments naturels et authentiques, ce contact avec les vérités de la nature. L'esprit se libérait chaque jour un peu plus, dès qu'il pouvait il allait butiner dans ma mémoire sur les instants fleuris, les moments drôles ou les joies les
plus intenses, la traversée d'un océan en solitaire ressemble à une navigation sur un immense miroir.
Si la mémoire est soi disant illimitée, la mienne est souvent défaillante, encore l'autre jour j'ai confondu Maxime Leforestier et Hugues Aufray en parlant du 3 mâts
fin comme un oiseau (hissez haut!!) que j'avais en vue au lever du jour. Mais elle reviendra ensuite sur le sujet pour y faire un rectificatif, allez comprendre ces
phénomènes, ceci dit les artistes ont la faculté de nous aider à percevoir les reflets les plus subtils de ce qui nous entoure.
J'ai bien vécu aussi, fait des repas sympa et passé de belles soirées sous les étoiles. Je me suis appliqué à ne pas imiter imitations de Pierre Richard,
cela m'arrive encore assez souvent, mais je n'y ai pas arrivé totalement si bien que mon arrivée en Martinique à failli finir par un échouage dans la barrière de corail. Ouf! à nouveau Cérémo ne m'a pas lâché dans ce dernier passage difficile. 
Tous ces gens que j'ai eu plaisir à rencontrer dernièrement, tous ceux d'avant et ceux de toujours, je voudrais qu'ils sachent la richesse que mon apporté nos échanges, ce qui fait que je voyage en solitaire sans jamais me sentir seul.

C'est où ?

Difficile de vous montrer une vue intégrant le Cap Vert et la Barbade ! Allez voir la carte de la saison 4.

Fil conducteur

Voir le récit précédant et le récit suivant de la saison 4. 

Retrouvez tous les récits de la saison 4 ---> 

Date de dernière mise à jour : 07/10/2018

Commentaires

  • Nathalie Loizeau
    • 1. Nathalie Loizeau Le 05/02/2018
    Coucou, Merci à Marion de t'avoir incitée, Cath, à décrire votre périple. Bravo à vous deux d'avoir affronter la mer pour vous accomplir dans ce voyage. On sent que le capt'ain de tes rêves est à la hauteur. On sent que tu prends plaisir à naviguer et à écrire aussi (quel plaisir de te lire, continue ...). Profitez maintenant du soleil et d'un peu de repos mérité tous les deux. A bientôt. Bisous. Nath
  • Le Moine Marie
    • 2. Le Moine Marie Le 03/02/2018
    Plus besoin d'acheter des romans, il suffit de lire les écrits de Cat ! Vous avez connu, en vous arrachant à votre bannette, l’atroce douleur de la banane brutalement épluchée, et nous la sentons aussi. Nous étions à Paris, presqu'aussi mouillés que vous ( Pluies, inondations partout en France) mais notre couche était un peu plus confortable , et nous pensions à vous très fort . Nous avons essayé de joindre Marion par mail mais pas de nouvelles … Avec deux ou trois punchs, nous avons même essayé d'avoir les mêmes sensations de tangage que vous, mais le décor manquait . Bravo à vous, et maintenant, veinards, le bateau repose à la surface de l'été . Peut-être au mois de mars , si vous êtes encore là, on aimerait bien . Plein, plein de bisous